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LES   CONTES DE VIM

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Marie-Claire, lauréate du Prix du Conte au Concours Ecrirecannes 2023, vous propose une série mensuelle intitulée...

 

« LA LÉGENDE VENÇOISE »…  

Toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé serait purement fortuite et ne pourrait être que le fruit d’une pure coïncidence

Une légende court dans la ville de Vence. Les sorcières existent-elles encore à notre époque ? C’est à cette réputation que vont devoir faire face les dernières descendantes d’une longue histoire qui remonte à des siècles.

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JANVIER

 

Le froid mordait les vitres de la chapelle Matisse qui, laissées entrouvertes, venait faire frissonner les trois prêtres attablés devant leurs tisanes. Ce lendemain de fête ne semblait pas les réjouir particulièrement, bien au contraire…

   - Nous voilà début 2020, dit le Père Pascal.

   - Oui, toujours face à notre mission inaccomplie, commenta le Père Alain.

   - Pourtant le temps presse, affirma le Père Frédéric.

Les trois clercs tremblaient en silence. Leur grand âge n’avait en rien ébranlé leurs convictions ni leur foi. Celle-ci, bien sûr, les rattachait au Christ, mais ces hommes de Dieu n’étaient pas que de simples prélats.

   - Comment allons-nous faire pour la retrouver ? demanda le Père Frédéric.

   - Nous avons passé nos vies à la chercher et tout concorde pour dire qu’elle se trouve ici, à Vence, dit le Père Pascal.

   - Je pense qu’il va nous falloir de l’aide, affirma le Père Alain.

Alors que les regards convergeaient vers lui, un petit bonhomme d’une dizaine d’années survint inopinément dans la sacristie.

   - M’sieur le curé, où est ce que je range le candélabre ?

   - Mets le ici, près de l’armoire. Merci Gabriel, rentre chez toi, ta maman doit t’attendre.

Le jeune enfant de chœur ne se fit pas prier outre mesure et se précipita dehors.

   - Tu crois qu’il nous a entendus ? demanda le père Pascal inquiet.

  - N’aie aucune crainte avec ce garçon, lui dit le père Alain, il est pur comme l’eau de la fontaine.

   - Il faut dire que nous prenons tant de précautions depuis tant d’années, ajouta le père Frédéric qui s’était levé et regardait par la fenêtre l’enfant s’éloigner dans la rue. Peut être trop…

   - Nous en revenons à ce que je disais, reprit le père Alain : nous devons désormais sortir de notre confrérie afin de faire aboutir notre mission avant qu’il ne soit trop tard.

   - Connais-tu quelqu’un capable de nous seconder ? lui demanda le père Pascal.

   - Je le pense.

Non loin de là, un attroupement avait lieu sur la place Clémenceau. On célébrait un mariage à la Cathédrale Notre Dame de la Nativité. Les jeunes mariés, radieux, recevaient les compliments de l’assistance parmi laquelle se trouvait monsieur le maire.

   - Toutes mes félicitations, mon cher Georges, vous voilà devenu un membre de l’une des plus vieilles familles de la région. Vous êtes les premiers que je marie aussi tôt dans l’année.

   - Vous savez, je ne voulais pas attendre plus longtemps avant d’épouser celle que j’aime.

A ces mots, il serra sa femme amoureusement avant de l’embrasser. Mais alors que la foule se resserrait autour d’eux, le nouveau marié s’extirpa un instant de la pression environnante pour prendre l’élu à part.

   - Vous n’avez pas oublié notre accord, lui demanda-t-il d’un ton sec.

   - Non, bien entendu, répondit le maire embarrassé.

  - Je suis à présent le gendre de monsieur Hardi et je ne m’en laisserai plus conter. Dès demain, je veux les dossiers concernant l’affaire qui nous intéresse sur mon bureau, puisque mon beau père a si bien insisté pour que je sois votre premier adjoint, hmm ? La ville de Vence n’aura plus aucun secret pour Georges Pallandru.

Le maire s’éloigna à grands pas, laissant les invités profiter des réjouissances.

 

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FÉVRIER

​

L’enfant traversa le pont de la Lubiane en courant. S’il cavalait ainsi, ce n’était pas pour rejoindre sa mère, mais sa petite amie. Corinne habitait du côté de la ville opposé au sien, dans une vieille bâtisse dont on aurait pu penser qu’elle était abandonnée. La petite vivait seule avec son aïeule isolée du reste de la ville. En effet, sa famille avait mauvaise réputation parmi les Vençois. On disait que la grand-mère était une sorcière. Si la vieille femme ne faisait rien de mal, les habitants l’évitaient pourtant sur leur passage.

Mais le petit Gabriel s’était amouraché de sa camarade de classe et la voyait en secret dès qu’il le pouvait.

Ils avaient pour habitude de se cacher dans le parc de la Conque où il vint la retrouver.

Dès qu’elle l’aperçut, elle lui fit signe. Les deux enfants se mirent à l’abri dans un buisson.

             - Corinne ! lui dit-il, je t’ai ramené du chocolat.

             - Oh merci, dit-elle en s’emparant du présent avec gourmandise.

L’enfant de chœur la regarda manger son goûter. Elle était belle, avec sa peau blanche et ses cheveux noirs. Elle lui faisait penser à Blanche Neige dans le conte que lui racontait sa maman.

Quel péché avait bien pu faire sa grand-mère pour être ainsi ostracisée ? À chaque messe, il priait pour son amie et nourrissait le désir secret d’un jour l’épouser. Mais pour cela, il faudrait que le curé l’aime bien.

             - Corinne, lui dit-il quand elle eut fini de manger, tu ne voudrais pas que je te présente au père Alain ?

             - Pour quoi faire ?

             - Comme ça. Il est gentil, tu verras.

             - On ne voudra pas de moi à la chapelle.

Gabriel se tut un instant. La sorcellerie des Melas, même si elle était légendaire, allait jusqu’à leur fermer la porte des églises de la ville. Par crainte que leur présence ne chasse les autres paroissiens ou parce que les légendes païennes sont parfois ancrées dans la foi chrétienne, les prêtres refusaient qu’elles pénètrent dans le sanctuaire religieux. Mais les enfants ne connaissaient rien à ses histoires d’hérésie que racontaient les grandes personnes. Ils jouaient bien ensemble jusqu’à ce que la mère du petit garçon débarque folle de rage dans l’escalier menant au parc.

             - Gabriel ! criait-elle en colère. Viens ici !

             - Mais maman…

             - Ne discute pas, je t’ai déjà dit que je ne voulais pas que tu fréquentes cette sorcière.

             - C’est pas une sorcière !

             - Tais-toi ! Rentre à la maison sans discuter.

L’enfant lança un regard rempli de peine à sa bien-aimée qui le regarda s’éloigner tiré de force par sa mère.

La rue résonna encore de leurs cris avant que le vent n’enveloppe de ses bras rugueux la petite restée seule au milieu du chemin.

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MARS

​

Les prêtres pénétrèrent discrètement sous le porche du bâtiment. Le soleil illuminait la ville de Nice encore engourdie de ses mois d’hiver. Les trois hommes n’étaient pas venus faire une promenade de santé, sinon traiter d’une affaire de la plus haute importance…
Leurs pas résonnaient sur le sol qui les mena devant la porte où ils avaient rendez-vous. Le chêne grinça à leur passage. La salle était toujours la même. Au fond, derrière un bureau, se trouvait un homme d’église. À ses côtés se tenait un jeune homme élégant au visage franc. Quand ils le virent, les religieux portèrent sur lui un regard plein d’espoir.
          -    Assoyez-vous, leur dit l’homme qui les accueillit.
          -    Merci de nous recevoir, Monseigneur, commença le père Pascal. Vous savez comme nous sommes impatients de mener à bien la mission que la confrérie nous a confiée il y a déjà plus de quarante ans.
          -    Je le sais, répondit l’évêque. L’Ordre de Lehins m’a contacté et m’a tout expliqué. Votre devoir doit rester absolument confidentiel et j’ai l’homme qu’il vous faut.
A ces mots, le prélat désigna le jeune homme qui se tenait immobile près de lui. L’évêque lui donna une tape sur l’épaule pour l’inviter à prendre la parole.
         -    Bonjour, messieurs, dit l’homme à l’élégance raffinée. Je me nomme Jean Iscariote. Monseigneur m’a parlé de vos recherches et j’ai accepté de vous aider.
         -    Vous êtes celui dont on m’a parlé, dit enthousiaste le père Alain.
         -    Quel est votre métier ? demanda inquisiteur le père Frédéric.
         -    Je suis avocat.
          -    Jean est diplômé de la meilleure école de droit parisienne, poursuivit l’évêque visiblement fier de son protégé. Il a reçu les honneurs le mois dernier lors de la remise de son diplôme. Mais en plus d’être un homme brillant, Jean est avant tout un fervent catholique dont je connais les parents depuis qu’il est né. Ses qualités morales sont indiscutables et je réponds de lui.
          -    Bien, Monseigneur, dit le père Pascal, mais comment comptez-vous nous apporter votre soutien ?
          -    J’ai réussi à me faire embaucher à la mairie de Vence, répondit le jeune avocat, où j’ai l’intention de commencer les investigations qui nous mèneront, je l’espère, à la bonne personne.
          -    Parfait, s’écria le père Alain. Nous serons donc à proximité. Si vous le voulez bien, tenez-nous au courant de l’avancement de votre enquête dès que vous le pouvez.
-    Oui, ajouta le père Pascal, nous vous écouterons avec avidité et pourrons vous aiguiller, le cas échéant.
-    Affaire conclue, dit l’évêque en leur serrant la main.
Si les pères Alain et Pascal se félicitaient chaleureusement de cette recrue, le père Frédéric demeurait interdit.
          -    Que se passe-t-il ? lui demanda le père Alain en partant. On dirait que tu n’es pas content de notre avancée ?
          -    Je ne suis pas sûr qu’elle en soit une, répondit le père Frédéric.
          -    Qu’est ce qui te permet d’affirmer cela ? lui demanda le père Pascal.
          -    Son nom : Iscariote. Il ne me dit rien qui vaille.
          -    Allons, le taquina le père Alain, tu ne vas pas devenir superstitieux ! Le Seigneur ne s’est jamais arrêté aux apparences.
          -    Non, mais Il connaît ses brebis par leur nom, en particulier les brebis galeuses…
Les pères Alain et Pascal, trop heureux des qualités irréprochables de Jean, décidèrent de passer outre les soupçons de leur ami. Cela faisait trop longtemps qu’ils attendaient et ils ne pouvaient pas perdre du temps à chercher quelqu’un d’autre. Iscariote ferait l’affaire, surtout si l’évêque l’avait choisi.
Un peu plus haut sur les collines, une vieille femme scrutait l’horizon depuis les Baous.
« Notre heure est bientôt arrivée » souffla-t-elle vers la mer.

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AVRIL

 

La forêt de la Sine embrassait de sa verdure la ville de Vence. Le soleil timide réchauffait le sous-bois encore humide des pluies hivernales. La vieille femme réajusta l’écharpe de sa petite fille.

  -     En avril ne te découvre pas d’un fil, lui dit-elle.

  -     Mais, mamie, j’en ai marre des manteaux.

  -     Je sais, mais je ne veux pas que tu tombes malade.

  -     Pourtant, si j’attrape un virus, tu sauras me soigner grand-mère, dit l’enfant ingénument.

Madame Melas fit une gentille grimace en entendant ces paroles. Elle emmenait l’enfant dans la forêt chaque mercredi, le jour où elle n’allait pas à l’école, et surtout lorsque la forêt était peu fréquentée. En effet, ce qu’elles venaient y faire n’était pas anodin. La vieille femme était la descendante d’une longue lignée de guérisseuses qui se transmettaient la connaissance des plantes médicinales de génération en génération. Si cela avait pu leur être profitable en ce sens qu’elles surent toujours se soigner, elles, leur famille ainsi que tous ceux qui venaient quémander leur aide, ce savoir les avait pourtant diabolisées aux yeux des gens. Si le temps des superstitions était terminé et que les progrès de la science pouvaient faire passer celle des Melas pour un loisir écologique plutôt inoffensif, le doute persistait chez les Vençois. L’hostilité à leur égard s’était héritée au fil du temps sans que les gens ne sachent plus exactement ce qu’ils leur reprochaient.

Après des décennies de lutte, Marianne Melas avait décidé de rompre la tradition familiale afin de préserver sa petite fille.

  -     Mamie, tu m’apprendras à choisir les herbes comme tu le fais ?

  -     Non, ma puce. Je t’ai déjà dit que tu n’en auras pas besoin plus tard. Tu auras un diplôme, un travail et tu feras partie de la société.

  -     Avec un mari et des enfants ?

  -     Oui, dit la grand-mère en souriant.

Elles cheminèrent dans la forêt, s’arrêtant çà et là pour cueillir une plante ou un gland. Corinne observait sa grand-mère qui caressait le tronc des arbres en murmurant des prières, récoltait un rayon de soleil dans sa main lorsqu’il perçait la végétation, respirait l’humus de la terre… la fascination de la petite fille pour son aïeule lui avait permis de combler un grand vide.

  -     Est-ce que tu crois que les herbes auraient pu sauver papa et maman ?

A ces mots, Marianne s’arrêta, et dévia le regard afin que la petite ne voie pas les larmes qui lui montaient aux yeux. Puis, elle prit délicatement les épaules de Corinne afin de lui parler.

  -     Tes parents t’aimaient de tout leur cœur. Malheureusement, personne n’a rien pu faire après leur accident.

-     Mais ce n’est pas ce qu’on me dit à l’école ! Ils sont morts empoisonnés ! Avec des potions que tu as fabriquées, mais moi je leur ai dit que ma grand-mère guérit les gens, hein, mamie, tu n’aurais jamais tué papa et maman ?

  -   Ne crois surtout pas ce que les gens racontent, mon enfant, car l’ignorance les rend très méchants. Non, je n’ai jamais fait de mal ni à ma propre fille, ni à mon gendre. Hélas, tout ce qui touche à notre famille est teinté de fausses rumeurs qui corroborent le plus mauvais côté des humains.

  -    Pourquoi est-ce qu’ils ne nous aiment pas ?

Marianne soupira longuement en levant les yeux vers le ciel.

  -    Dieu seul le sait. Cette haine remonte à des temps immémoriaux.

  -    Cela durera-t-il donc toujours ? sanglota Corinne.

  -    Non, désormais nous ferons tout pour que cela change, je te le promets.

Alors qu’elle prononçait ces mots, Madame Melas aperçut des gens qui les guettaient un peu plus loin. Elle referma sa besace, prit sa petite fille par la main et quitta la forêt de la Sine.

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À suivre...

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