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LES   CONTES DE VIM

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Marie-Claire, lauréate du Prix du Conte de la 7ème édition du concours "Écrire Cannes" 2023, vous propose une série mensuelle intitulée...

 

« LA LÉGENDE VENÇOISE »…  

Toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé serait purement fortuite et ne pourrait être que le fruit d’une pure coïncidence

Une légende court dans la ville de Vence. Les sorcières existent-elles encore à notre époque ? C’est à cette réputation que vont devoir faire face les dernières descendantes d’une longue histoire qui remonte à des siècles.

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JANVIER

 

Le froid mordait les vitres de la chapelle Matisse qui, laissées entrouvertes, venait faire frissonner les trois prêtres attablés devant leurs tisanes. Ce lendemain de fête ne semblait pas les réjouir particulièrement, bien au contraire…

   - Nous voilà début 2020, dit le Père Pascal.

   - Oui, toujours face à notre mission inaccomplie, commenta le Père Alain.

   - Pourtant le temps presse, affirma le Père Frédéric.

Les trois clercs tremblaient en silence. Leur grand âge n’avait en rien ébranlé leurs convictions ni leur foi. Celle-ci, bien sûr, les rattachait au Christ, mais ces hommes de Dieu n’étaient pas que de simples prélats.

   - Comment allons-nous faire pour la retrouver ? demanda le Père Frédéric.

   - Nous avons passé nos vies à la chercher et tout concorde pour dire qu’elle se trouve ici, à Vence, dit le Père Pascal.

   - Je pense qu’il va nous falloir de l’aide, affirma le Père Alain.

Alors que les regards convergeaient vers lui, un petit bonhomme d’une dizaine d’années survint inopinément dans la sacristie.

   - M’sieur le curé, où est ce que je range le candélabre ?

   - Mets le ici, près de l’armoire. Merci Gabriel, rentre chez toi, ta maman doit t’attendre.

Le jeune enfant de chœur ne se fit pas prier outre mesure et se précipita dehors.

   - Tu crois qu’il nous a entendus ? demanda le père Pascal inquiet.

  - N’aie aucune crainte avec ce garçon, lui dit le père Alain, il est pur comme l’eau de la fontaine.

   - Il faut dire que nous prenons tant de précautions depuis tant d’années, ajouta le père Frédéric qui s’était levé et regardait par la fenêtre l’enfant s’éloigner dans la rue. Peut être trop…

   - Nous en revenons à ce que je disais, reprit le père Alain : nous devons désormais sortir de notre confrérie afin de faire aboutir notre mission avant qu’il ne soit trop tard.

   - Connais-tu quelqu’un capable de nous seconder ? lui demanda le père Pascal.

   - Je le pense.

Non loin de là, un attroupement avait lieu sur la place Clémenceau. On célébrait un mariage à la Cathédrale Notre Dame de la Nativité. Les jeunes mariés, radieux, recevaient les compliments de l’assistance parmi laquelle se trouvait monsieur le maire.

   - Toutes mes félicitations, mon cher Georges, vous voilà devenu un membre de l’une des plus vieilles familles de la région. Vous êtes les premiers que je marie aussi tôt dans l’année.

   - Vous savez, je ne voulais pas attendre plus longtemps avant d’épouser celle que j’aime.

A ces mots, il serra sa femme amoureusement avant de l’embrasser. Mais alors que la foule se resserrait autour d’eux, le nouveau marié s’extirpa un instant de la pression environnante pour prendre l’élu à part.

   - Vous n’avez pas oublié notre accord, lui demanda-t-il d’un ton sec.

   - Non, bien entendu, répondit le maire embarrassé.

  - Je suis à présent le gendre de monsieur Hardi et je ne m’en laisserai plus conter. Dès demain, je veux les dossiers concernant l’affaire qui nous intéresse sur mon bureau, puisque mon beau père a si bien insisté pour que je sois votre premier adjoint, hmm ? La ville de Vence n’aura plus aucun secret pour Georges Pallandru.

Le maire s’éloigna à grands pas, laissant les invités profiter des réjouissances.

 

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FÉVRIER

L’enfant traversa le pont de la Lubiane en courant. S’il cavalait ainsi, ce n’était pas pour rejoindre sa mère, mais sa petite amie. Corinne habitait du côté de la ville opposé au sien, dans une vieille bâtisse dont on aurait pu penser qu’elle était abandonnée. La petite vivait seule avec son aïeule isolée du reste de la ville. En effet, sa famille avait mauvaise réputation parmi les Vençois. On disait que la grand-mère était une sorcière. Si la vieille femme ne faisait rien de mal, les habitants l’évitaient pourtant sur leur passage.

Mais le petit Gabriel s’était amouraché de sa camarade de classe et la voyait en secret dès qu’il le pouvait.

Ils avaient pour habitude de se cacher dans le parc de la Conque où il vint la retrouver.

Dès qu’elle l’aperçut, elle lui fit signe. Les deux enfants se mirent à l’abri dans un buisson.

             - Corinne ! lui dit-il, je t’ai ramené du chocolat.

             - Oh merci, dit-elle en s’emparant du présent avec gourmandise.

L’enfant de chœur la regarda manger son goûter. Elle était belle, avec sa peau blanche et ses cheveux noirs. Elle lui faisait penser à Blanche Neige dans le conte que lui racontait sa maman.

Quel péché avait bien pu faire sa grand-mère pour être ainsi ostracisée ? À chaque messe, il priait pour son amie et nourrissait le désir secret d’un jour l’épouser. Mais pour cela, il faudrait que le curé l’aime bien.

             - Corinne, lui dit-il quand elle eut fini de manger, tu ne voudrais pas que je te présente au père Alain ?

             - Pour quoi faire ?

             - Comme ça. Il est gentil, tu verras.

             - On ne voudra pas de moi à la chapelle.

Gabriel se tut un instant. La sorcellerie des Melas, même si elle était légendaire, allait jusqu’à leur fermer la porte des églises de la ville. Par crainte que leur présence ne chasse les autres paroissiens ou parce que les légendes païennes sont parfois ancrées dans la foi chrétienne, les prêtres refusaient qu’elles pénètrent dans le sanctuaire religieux. Mais les enfants ne connaissaient rien à ses histoires d’hérésie que racontaient les grandes personnes. Ils jouaient bien ensemble jusqu’à ce que la mère du petit garçon débarque folle de rage dans l’escalier menant au parc.

             - Gabriel ! criait-elle en colère. Viens ici !

             - Mais maman…

             - Ne discute pas, je t’ai déjà dit que je ne voulais pas que tu fréquentes cette sorcière.

             - C’est pas une sorcière !

             - Tais-toi ! Rentre à la maison sans discuter.

L’enfant lança un regard rempli de peine à sa bien-aimée qui le regarda s’éloigner tiré de force par sa mère.

La rue résonna encore de leurs cris avant que le vent n’enveloppe de ses bras rugueux la petite restée seule au milieu du chemin.

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MARS

Les prêtres pénétrèrent discrètement sous le porche du bâtiment. Le soleil illuminait la ville de Nice encore engourdie de ses mois d’hiver. Les trois hommes n’étaient pas venus faire une promenade de santé, sinon traiter d’une affaire de la plus haute importance…
Leurs pas résonnaient sur le sol qui les mena devant la porte où ils avaient rendez-vous. Le chêne grinça à leur passage. La salle était toujours la même. Au fond, derrière un bureau, se trouvait un homme d’église. À ses côtés se tenait un jeune homme élégant au visage franc. Quand ils le virent, les religieux portèrent sur lui un regard plein d’espoir.
          -    Assoyez-vous, leur dit l’homme qui les accueillit.
          -    Merci de nous recevoir, Monseigneur, commença le père Pascal. Vous savez comme nous sommes impatients de mener à bien la mission que la confrérie nous a confiée il y a déjà plus de quarante ans.
          -    Je le sais, répondit l’évêque. L’Ordre de Lehins m’a contacté et m’a tout expliqué. Votre devoir doit rester absolument confidentiel et j’ai l’homme qu’il vous faut.
A ces mots, le prélat désigna le jeune homme qui se tenait immobile près de lui. L’évêque lui donna une tape sur l’épaule pour l’inviter à prendre la parole.
         -    Bonjour, messieurs, dit l’homme à l’élégance raffinée. Je me nomme Jean Iscariote. Monseigneur m’a parlé de vos recherches et j’ai accepté de vous aider.
         -    Vous êtes celui dont on m’a parlé, dit enthousiaste le père Alain.
         -    Quel est votre métier ? demanda inquisiteur le père Frédéric.
         -    Je suis avocat.
          -    Jean est diplômé de la meilleure école de droit parisienne, poursuivit l’évêque visiblement fier de son protégé. Il a reçu les honneurs le mois dernier lors de la remise de son diplôme. Mais en plus d’être un homme brillant, Jean est avant tout un fervent catholique dont je connais les parents depuis qu’il est né. Ses qualités morales sont indiscutables et je réponds de lui.
          -    Bien, Monseigneur, dit le père Pascal, mais comment comptez-vous nous apporter votre soutien ?
          -    J’ai réussi à me faire embaucher à la mairie de Vence, répondit le jeune avocat, où j’ai l’intention de commencer les investigations qui nous mèneront, je l’espère, à la bonne personne.
          -    Parfait, s’écria le père Alain. Nous serons donc à proximité. Si vous le voulez bien, tenez-nous au courant de l’avancement de votre enquête dès que vous le pouvez.
-    Oui, ajouta le père Pascal, nous vous écouterons avec avidité et pourrons vous aiguiller, le cas échéant.
-    Affaire conclue, dit l’évêque en leur serrant la main.
Si les pères Alain et Pascal se félicitaient chaleureusement de cette recrue, le père Frédéric demeurait interdit.
          -    Que se passe-t-il ? lui demanda le père Alain en partant. On dirait que tu n’es pas content de notre avancée ?
          -    Je ne suis pas sûr qu’elle en soit une, répondit le père Frédéric.
          -    Qu’est ce qui te permet d’affirmer cela ? lui demanda le père Pascal.
          -    Son nom : Iscariote. Il ne me dit rien qui vaille.
          -    Allons, le taquina le père Alain, tu ne vas pas devenir superstitieux ! Le Seigneur ne s’est jamais arrêté aux apparences.
          -    Non, mais Il connaît ses brebis par leur nom, en particulier les brebis galeuses…
Les pères Alain et Pascal, trop heureux des qualités irréprochables de Jean, décidèrent de passer outre les soupçons de leur ami. Cela faisait trop longtemps qu’ils attendaient et ils ne pouvaient pas perdre du temps à chercher quelqu’un d’autre. Iscariote ferait l’affaire, surtout si l’évêque l’avait choisi.
Un peu plus haut sur les collines, une vieille femme scrutait l’horizon depuis les Baous.
« Notre heure est bientôt arrivée » souffla-t-elle vers la mer.

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AVRIL

 

La forêt de la Sine embrassait de sa verdure la ville de Vence. Le soleil timide réchauffait le sous-bois encore humide des pluies hivernales. La vieille femme réajusta l’écharpe de sa petite fille.

  -     En avril ne te découvre pas d’un fil, lui dit-elle.

  -     Mais, mamie, j’en ai marre des manteaux.

  -     Je sais, mais je ne veux pas que tu tombes malade.

  -     Pourtant, si j’attrape un virus, tu sauras me soigner grand-mère, dit l’enfant ingénument.

Madame Melas fit une gentille grimace en entendant ces paroles. Elle emmenait l’enfant dans la forêt chaque mercredi, le jour où elle n’allait pas à l’école, et surtout lorsque la forêt était peu fréquentée. En effet, ce qu’elles venaient y faire n’était pas anodin. La vieille femme était la descendante d’une longue lignée de guérisseuses qui se transmettaient la connaissance des plantes médicinales de génération en génération. Si cela avait pu leur être profitable en ce sens qu’elles surent toujours se soigner, elles, leur famille ainsi que tous ceux qui venaient quémander leur aide, ce savoir les avait pourtant diabolisées aux yeux des gens. Si le temps des superstitions était terminé et que les progrès de la science pouvaient faire passer celle des Melas pour un loisir écologique plutôt inoffensif, le doute persistait chez les Vençois. L’hostilité à leur égard s’était héritée au fil du temps sans que les gens ne sachent plus exactement ce qu’ils leur reprochaient.

Après des décennies de lutte, Marianne Melas avait décidé de rompre la tradition familiale afin de préserver sa petite fille.

  -     Mamie, tu m’apprendras à choisir les herbes comme tu le fais ?

  -     Non, ma puce. Je t’ai déjà dit que tu n’en auras pas besoin plus tard. Tu auras un diplôme, un travail et tu feras partie de la société.

  -     Avec un mari et des enfants ?

  -     Oui, dit la grand-mère en souriant.

Elles cheminèrent dans la forêt, s’arrêtant çà et là pour cueillir une plante ou un gland. Corinne observait sa grand-mère qui caressait le tronc des arbres en murmurant des prières, récoltait un rayon de soleil dans sa main lorsqu’il perçait la végétation, respirait l’humus de la terre… la fascination de la petite fille pour son aïeule lui avait permis de combler un grand vide.

  -     Est-ce que tu crois que les herbes auraient pu sauver papa et maman ?

A ces mots, Marianne s’arrêta, et dévia le regard afin que la petite ne voie pas les larmes qui lui montaient aux yeux. Puis, elle prit délicatement les épaules de Corinne afin de lui parler.

  -     Tes parents t’aimaient de tout leur cœur. Malheureusement, personne n’a rien pu faire après leur accident.

-     Mais ce n’est pas ce qu’on me dit à l’école ! Ils sont morts empoisonnés ! Avec des potions que tu as fabriquées, mais moi je leur ai dit que ma grand-mère guérit les gens, hein, mamie, tu n’aurais jamais tué papa et maman ?

  -   Ne crois surtout pas ce que les gens racontent, mon enfant, car l’ignorance les rend très méchants. Non, je n’ai jamais fait de mal ni à ma propre fille, ni à mon gendre. Hélas, tout ce qui touche à notre famille est teinté de fausses rumeurs qui corroborent le plus mauvais côté des humains.

  -    Pourquoi est-ce qu’ils ne nous aiment pas ?

Marianne soupira longuement en levant les yeux vers le ciel.

  -    Dieu seul le sait. Cette haine remonte à des temps immémoriaux.

  -    Cela durera-t-il donc toujours ? sanglota Corinne.

  -    Non, désormais nous ferons tout pour que cela change, je te le promets.

Alors qu’elle prononçait ces mots, Madame Melas aperçut des gens qui les guettaient un peu plus loin. Elle referma sa besace, prit sa petite fille par la main et quitta la forêt de la Sine.

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MAI

La porte claqua au deuxième étage de la mairie de Vence. 
-    Alors, ça vient ? s’exclama le premier adjoint.
-    Oui, monsieur Pallandru, balbutia le commis de bureau. Voilà tous les documents que vous m’avez demandés.
-    Déjà cinq mois que nous faisons des recherches et toujours rien !
-    Je vous seconderai jusqu’au bout, affirma le jeune homme.
Le chef s’arrêta un instant pour regarder son assistant avec bienveillance. Ces moments étaient rares, mais au fil des mois le jeune secrétaire fraîchement diplômé en droit avait su gagner la confiance de cet homme bourru à la colère facile. Si au début il avait été réticent à le prendre comme employé du fait qu’il était plus qualifié que lui, Georges Pallandru s’était rapidement rendu compte que ce jeune blanc bec au caractère malléable était la recrue qu’il lui fallait.
-    Voyons voir ce que vous m’avez trouvé.
Le premier adjoint vençois commença à feuilleter les documents qu’il avait demandés. 
-    Si je récapitule mon cher Jean, lui dit-il, la femme que nous cherchons est de souche vençoise remontant au Moyen Age. Vous m’avez donc amené tous les arbres généalogiques des habitants de la ville.
-    J’ai tout épluché, patron, et j’ai classé les gens selon les critères que vous m’avez indiqué : la profession, leur adresse et l’âge qu’ils avaient le jour de leur décès.
-    Très important, insista Georges.
-    Pour quelle raison ? demanda Jean avec curiosité.
-    Mon cher Iscariote, si vous me permettez de vous appeler par votre nom de famille, je reviens à ce que je vous ai déjà dit il y a quelques mois, lorsque je vous ai confié la mission de m’aider à percer cette énigme : je veux un silence et une discrétion absolue sur cette affaire. Aussi, plus nous avançons, plus j’ai besoin de m’assurer de votre fidélité à mon égard. Jurez-vous de garder le secret sur les motivations qui m’animent dans ce dossier ?
-    Je le jure.
-    Et bien entendu, moins vous en parlez au maire, mieux ce sera. Il n’est pas au courant de la nature exacte de mes recherches et ne doit pas l’être. Le fait que j’ai épousé une Hardi lui suffit.
-    C’est compris.
-    Bien, sinon vous aurez affaire à moi. J’ai le bras long. À présent sachez que la famille que nous recherchons n’est pas ordinaire. Il s’agit d’une lignée de mages possédant le secret de l’immortalité.
-    Vraiment ? s’écria le jeune avocat ébahi.
-    Tout à fait. J’ai eu vent de cette légende alors que j’habitais encore dans le nord, mais j’ai eu alors en ma possession des éléments qui portent à croire que cette histoire est véridique. Aussi, dit-il en tapant du poing sur la table, je veux ce pouvoir ! Je ferai tout pour l’obtenir.
-    Nous y parviendrons, patron.
Pallandru regarda Iscariote dans les yeux. Ceux-ci avaient un éclat qui lui plaisait, un éclat qu’il connaissait bien : celui de la convoitise.
Satisfait de voir que naissait l’ambition du pouvoir dans ce jeune qui aurait pu passer pour un prêtre le jour où il débarqua à la mairie de Vence, il alla observer la place Clémenceau depuis la fenêtre.
-    Jean, lui dit-il, êtes-vous allé chercher des informations auprès des habitants comme je vous l’avais demandé ?
-    Oui, patron.
-    Et alors ?
-    J’ai rencontré des gens samedi dernier sur la place du Grand Jardin, à l’occasion d’un concert qui était organisé. Les langues ont fini par se délier. Il paraît qu’il existe dans cette ville une sorcière. J’ai d’abord cru à une blague mais ils étaient tout à fait sérieux. On dirait même qu’ils la craignent.
-    Qui est cette femme ?
-    Personne ne la connaît vraiment. Elle habite, m’a-t-on dit, à l’avenue Henri Giraud. Elle vit avec sa petite fille.
-    Intéressant, mon cher Iscariote.
-    Pensez-vous que cela pourrait être elle ?
-    Il ne faut négliger aucune piste. Renseignez-vous sur elle.
Le vent balaya la place. Les cloches de la cathédrale sonnèrent la fin d’après-midi. Le temps s’écoulait vite à Vence. L’énigme de plusieurs siècles allait elle se dénouer sous leurs yeux ?

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JUIN

Le soleil cognait fort en ce début d’été à Vence. Si le temps était à la détente pour les premiers vacanciers estivaux, l’envoyé de l’évêché, lui, n’avait pas une minute à perdre. Il traversa hâtivement le pont de la Lubiane en direction de la chapelle Matisse.

- Merci d’avoir fait vite, lui dit le père Pascal en l’accueillant discrètement dans le presbytère.

- Je vous en prie. Comme convenu, je reviens vers vous avec les premiers éléments de l’enquête.

Les trois prêtres prirent place autour de la petite table en bois et écoutèrent avidement ce que leur espion avait à leur raconter.

- Bien, cela fait six mois à présent que je travaille à la mairie de Vence et je peux vous dire qu’en tant qu’assistant de Georges Pallandru, je ne chôme pas.

- Suspecte-t-il nos recherches ? demanda inquiet le père Alain.

- Pas le moins du monde, le rassura le jeune avocat. Cependant, comme vous le savez, il mène la même enquête que vous. J’en ai appris plus sur le profil de celle qui nous intéresse. Il paraît qu’elle possède le secret de l’immortalité. Est-ce la vérité ?

Cette question mit mal à l’aise les curés qui se regardèrent embarrassés. C’est finalement le père Frédéric qui lui répondit.

- Comme tu peux l’imaginer, nous ne pouvons pas révéler des secrets séculaires. Nous avons prêté serment à l’Ordre de Lehins. Cependant, nous t’avons donné assez d’éléments pour la mission dont nous t’avons chargé et il importe que même nos associés en sachent le moins possible.

- Pourtant j’aimerais…

- Dis-nous simplement si tu as une piste, le coupa sèchement le père Frédéric.

- Bien, dit sagement Jean. Je dois vous dire qu’il existe une légende à Vence concernant une certaine Madame Melas qui vit, me dit-on, avec sa petite fille. À vrai dire, tout me porte à croire qu’il pourrait s’agir de la descendante que nous recherchons.

À l’évocation de ce nom, les trois prêtres toisèrent Iscariote d’un air mauvais.

- Serais-tu assez hérétique pour confondre le diable et le bon dieu ? Les Melas sont une lignée de sorcières ! Elles sont bannies de notre église depuis des générations et elle n’a rien à voir avec la sainte que nous cherchons depuis tant d’années ! s’écria le père Pascal.

- De plus, poursuivit le père Alain, le pouvoir dont elle est dotée est sacré, au sens le plus noble du terme. Elle a, disons, accès au ciel directement…

- N’en dis pas trop, le coupa le père Frédéric.

- Ce fameux pouvoir d’immortalité ? demanda Iscariote.

- Nous nous devons de l’éclairer, expliqua le père Alain au père Frédéric, donnons-lui quelques indices.

- Bien, Jean, nous te dirons juste que le pouvoir de notre sainte n’a rien à voir avec les potions diaboliques qui ont cours depuis des siècles chez les Melas, lui dit le père Frédéric.

- Peut être que nous nous trompons ? Je compte même prendre contact avec elle dès que possible et…

- Nous te le défendons catégoriquement, le coupa le père Alain.

A ces mots, Jean vit que toute remarque concernant Madame Melas était désormais proscrite. Son nom même ne devait plus souiller les oreilles ni les lèvres des trois prélats. N’ayant pas d’autres informations à leur donner, il les quitta.

- La piste que notre jeune complice a prise est de mauvais augure. Espérons qu’il mène sa mission à bien sans se laisser entraver par le diable, dit le père Pascal.

- Je devrais peut-être en référer à notre père supérieur ? demanda le père Alain.

- Laissons faire les choses, dit le père Frédéric. Agir trop tôt peut être aussi néfaste qu’agir trop tard. Il reste encore un espoir.

La porte du presbytère grinça. Un chat s’échappa. Un peu plus loin sur le pont, le petit Gabriel courait. La conversation qu’il venait de surprendre allait changer le cours de l’histoire de Vence.

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JUILLET

On frappa fort à la porte des Melas. Marianne se demandait qui pouvait bien venir les déranger à une heure aussi tardive. Néanmoins, elle avait appris à se méfier, car les seules personnes qui osaient se présenter à elles ne le faisaient jamais avec de bonnes intentions. Comme elle hésitait à ouvrir, Corinne trépignait derrière elle :

- Ouvre, mamie !

 

Avant qu’elle n’eût eu le temps de s’en rendre compte, le petit Gabriel pénétra haletant dans la vieille maison.

- Corinne ! s’exclama-t-il, je sais tout ! Ta grand-mère est une sainte !

Ces mots eurent pour effet de provoquer la stupeur de Madame Melas qui exigea aussitôt de connaître l’identité du jeune garçon.

- Je m’appelle Gabriel, M’dame. Corinne est ma petite copine.

- Tiens donc ? demanda la vieille femme circonspecte en regardant la petite fille qui rougissait. Je ne le savais pas. Bon, en tous cas je suis heureuse de te rencontrer, mon petit, d’autant plus que les amis sont bien rares. Mais dis-moi, que viens-tu d’affirmer ?

- Je suis enfant de chœur à la chapelle Matisse et j’ai entendu les prêtres dire que vous avez un secret.

- Qu’ont-ils dit exactement ? demanda Marianne de plus en plus inquiète.

- Que vous êtes une sorcière avec des pouvoirs diaboliques, mais l’autre monsieur de la mairie disait que vous avez le secret de l’immortalité. Je suis sûr que si vous montrez vos pouvoirs, Corinne et vous serez honorées dans toute la ville de Vence ! Ils vous accepteront enfin ! s’écria l’enfant excité.

- Quel monsieur ? Quels pouvoirs ? Mon Dieu… dit tristement la femme.

L’enthousiasme de Gabriel, loin d’être communicatif, abattit au plus haut point le moral de Madame Melas qui s’assit péniblement sur une chaise. Corinne, quant à elle, n’avait rien compris à ces explications. La seule chose qu’elle constatait était l’immense inquiétude de sa grand-mère. L’enfant de chœur, surpris d’une telle réaction, se calma derechef. La vieille femme sortit enfin du silence.

- Mon enfant, lui dit-elle en lui prenant les mains, ce que je vais te dire doit rester entre nous. Corinne descend d’une longue lignée de guérisseuses qui remonte au Moyen Age. Les guérisseuses sont des femmes qui ont la connaissance des plantes. Elles s’en servent pour soigner les gens.

- Vous êtes médecin ? demanda le petit ébahi.

- Pas exactement, lui dit-elle en souriant. Nous ne sommes pas des scientifiques. Notre savoir s’est perdu au fil des siècles. Malheureusement pour nous, les Melas, au cours de leur histoire, se sont faits des ennemis qui nous ont écartés du reste la population. Nous n’avons rien de diabolique, au contraire, nous avons toujours œuvré pour le bien des gens.

- Je suis sûr que si les gens le savaient, ils vous aimeraient ! dit Gabriel.

- Hélas, les gens ont parfois besoin d’un bouc émissaire sur lequel déverser leur colère, leurs doutes et leurs frustrations. Cela fait trop longtemps qu’ils ne veulent plus de nous. La seule chose que je te demande de faire, si tu veux nous aider Corinne et moi, est de ne rien dire à personne. Les prêtres ne doivent pas savoir que tu nous connais. Je sais que c’est dur, mais notre amitié doit rester secrète, même auprès de ta famille. As-tu compris ?

Gabriel acquiesça, déçu. Il rentra chez lui le cœur lourd. Lui qui pensait avoir trouvé un moyen d’épouser Corinne plus tard en la faisant accepter des Vençois sentit que ce problème dépassait ces capacités d’enfant. Mais il n’était pas du style à abandonner. Ce soir-là, il entendit la conversation de ses parents au dîner.

- Il paraît que Madame Hardi est malade, dit sa mère.

- Qu’est-ce qu’elle a ? demanda le père de Gabriel.

- Une saleté contre laquelle on ne peut rien. C’est dommage, elle qui venait de se marier. Sa mort va faire du bruit dans la région, avec la réputation qu’ont les Hardi par ici.

- J’imagine. C’est son mari qui aura l’héritage.

- Oui, d’ailleurs on jase à ce propos, dit la femme en baissant la voix. On dit qu’il était intéressé par l’influence de sa belle-famille. En effet, c’est un piètre mari : il n’est jamais au chevet de son épouse et passe tout son temps à la mairie.

- C’est bien possible. En attendant, si quelqu’un arrivait à soigner Madame Hardi, celui-là deviendrait le héros de toute la région.

Ces mots résonnèrent dans l’esprit de Gabriel qui sentit naître en lui un plan que même le diable n’aurait pu déjouer.

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AOÛT

- Allez mamie ! La petite fille tirait sa grand-mère par la manche depuis un bon quart d’heure.
Gabriel était là qui attendait à l’entrée, aussi impatient que son amie. Seule Madame Melas refusait de partir. Ce que les enfants lui demandaient était au-delà de ses forces.
- Vous êtes trop jeunes pour comprendre, leur dit-elle. Vous ne vous rendez pas compte ce que cela va provoquer dans la ville. Nous risquons d’être bannies à tout jamais.
- Mais madame, une fois qu’ils verront que vous êtes bonnes, ils vous accepteront ! Faites-le pour Corinne ! s’écria l’enfant de chœur.
La vieille femme regarda tendrement la petite fille. Il était vrai qu’elle rêvait d’un moyen d’en finir avec cette maudite légende, mais voici que le prix à payer était si cher. Pourtant, elle savait depuis toujours que ce jour viendrait. Aussi finit elle par suivre les deux petits avec la résignation d’une condamnée à mort.
La maison des Hardi se trouvait en périphérie de Vence. Le portail grand et imposant s’ouvrit sur Marianne et ses deux compagnons telles les portes de l’enfer. Quand la femme croisa le regard glacial du patriarche de la plus vieille famille vençoise, un frisson la parcourut.
On la fit pénétrer à l’intérieur. Elle emprunta l’escalier jusqu’à la chambre de la malade. Là gisait le corps mourant de Madame Hardi. Seuls l’accompagnaient le père de la souffrante ainsi que les deux enfants qui assistaient à la scène impressionnés les yeux grands ouverts.
Le vieil homme prit la parole d’un ton menaçant.
- Si l’on m’avait dit qu’une Melas entrerait un jour chez moi, j’aurais fait pendre celui qui me l’aurait annoncé. Cependant, nous sommes dans des circonstances exceptionnelles. Ma fille est mourante et il n’existe aucune solution. Aussi suis-je prêt à me tourner vers la sorcellerie.
Ces mots firent trembler les mains de Marianne qui ne répliqua pas. Par un effort suprême, elle s’approcha de la femme de Georges Pallandru et l’examina. Son teint était déjà mortuaire, les membres ne répondaient plus et elle n’avait pas même la force d’ouvrir les yeux. La grand-mère de Corinne prit alors dans sa besace une poignée d’herbes et se mit à confectionner un remède pour la descendante de ceux qui persécutaient sa famille depuis des siècles. Puis elle fit avaler la potion tant bien que mal à la dernière des Hardi.
- Voilà, dit-elle, quand elle eut fini. Demain matin elle sera sur pied.
Monsieur Hardi la regarda sceptique. Sans dire un mot, il la raccompagna au portail.
En partant, Corinne demanda à sa grand-mère.
- Il ne t’a pas payée, mamie ?
- On ne nous paie jamais, répondit Marianne dans un sourire.
- Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? demanda Gabriel.
- Tu rentres chez toi, lui dit gentiment la grand-mère de son amie.
Marianne Melas savait que désormais, le sort en était jeté. Il ne lui restait plus qu’à attendre la tempête qui se déclarerait sans tarder.
Le lendemain, tout Vence était en émoi. Madame Pallandru était guérie ! La nouvelle fit le tour de la région. La rumeur autour des sorcières de l’avenue Henri Giraud enfla comme une pâte à pain. Le résultat escompté par Gabriel ne fut pas celui qu’il voulait. Loin de manifester sa reconnaissance, le père Hardi fut le premier à les condamner. Sa fille était sortie d’affaire, il n’avait plus rien à craindre. Par contre, la connaissance à la fois simple et efficace de Marianne blessait son orgueil au plus haut point. Comment pouvait-il briser la tradition familiale persécutrice de ses pauvres diablesses surtout si elles en savaient plus que lui ? Une femme ne pouvait le surpasser ! Encore moins une renégat.
Des cris encerclèrent la maison des Melas. La grand-mère et la petite fille se serraient l’une contre l’autre, tremblantes à l’idée du sort que l’on leur réserverait. On frappait à la porte à grands coups en les traitant de tous les noms. Des débris de bouteilles furent jetés par-dessus la clôture du jardin.
- Pourquoi nous en veulent-ils ? demanda l’amie de Gabriel.
- Ils nous en voudront toujours, ma puce. Nous sommes condamnées depuis des siècles et voici que le dénouement de notre destin arrive aujourd’hui.
Les murs tremblèrent encore longtemps jusqu’à ce que la foule déserte l’avenue le soir venu. Qu’allait-il advenir des dernières guérisseuses de la sine ?

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SEPTEMBRE

On frappa à la porte de la chapelle Matisse. Il faisait encore chaud et les habitants de Vence recherchaient toujours l’ombre des arbres ayant perdu de leur verdure suite à un été si sec.

Quand le père Alain vit qui était là, il se mit en quatre pour l’accueillir dans le presbytère. Il alla aussitôt chercher ses confrères qui débarquèrent dans tous leurs états car Madame Pallandru était venue les voir.

- Que pouvons-nous faire pour vous ? lui demanda le père Pascal.

- Je vous remercie de m’accorder un moment, dit la femme après quelque hésitation. Ce dont je suis venue vous parler relève de la plus haute importance. J’entends que cela concerne tant les affaires terrestres que de celles du Ciel.

Les trois curés buvaient ses paroles, accrochés à ses lèvres comme le Christ à sa croix. Madame Pallandru continua :

- Vous avez sans doute entendu parler des Melas ? Bien, je vois que leur nom suscite toujours de la méfiance dans les yeux des Vençois. Pourtant, c’est l’une d’entre eux qui m’a guérie. Oui, tout Vence en parle, vous ne pouvez nier l’avoir ouï. C’est pourtant la vérité. Aussi suis-je venue vous demander quelle est la raison du bannissement de cette famille par la paroisse ? Cela dure depuis si longtemps !

- Les Melas sont des sorcières, Madame Pallandru, dit le père Pascal d’un ton bourru. Ne vous égarez pas avec ces légendes païennes. Si vous êtes sauvée, cela est probablement dû au médecin ou, qui sait, au Seigneur qui aura entendu les prières des Vençois.

- C’est bien cela que je suis venue corriger, mes pères. Sachez que j’étais à l’article de la mort. Oui, l’ange était là qui m’attendait aux portes du Paradis, mais lorsque Marianne Melas est venue me voir sur mon lit de mort, l’ange s’est incliné, comme un serviteur face à son seigneur. Je pèse mes mots ! Je suis revenue de l’au-delà et peut être que ce que le bon Dieu a voulu faire en me laissant encore ici-bas est d’affirmer que cette femme est une sainte. En tous cas, elle est connue au Ciel et je ne peux tolérer que l’on continue à faire d’elle et de sa petite fille des sorcières victimes de tous les maux.

Les trois pères se regardaient embarrassés. Ils n’avaient aucun argument à opposer à cela et ce que la dernière des Hardi leur racontait les troublait profondément.

- Je n’ai pas la preuve de ce que j’avance, continua Madame Pallandru, bien que les guérisons qui ont été faites par les Melas auraient dû servir de preuves au même titre que des miracles, mais à défaut d’avoir été reconnues pour saintes on les a assimilées à des sorcières. Avez-vous, pour votre part, des preuves de leur sorcellerie ?

Le père Alain regarda les deux autres qui nièrent.

- Alors vous voyez ! Elles ont été bannies à tort. Cela d’autant plus qu’en tant que descendante des Hardi, j’ai l’explication des accusations d’hérésie dont elles font l’objet depuis le Moyen Age. Mon père les hait depuis toujours, mais j’ai réussi à obtenir de lui certains documents gardés par la famille dont il m’a fait part, en me jurant le plus grand secret. Cependant, le service que m’a rendu Marianne ainsi que ma brève expérience de l’au-delà m’empêchent de taire la vérité. Il se trouve qu’à l’époque où cette malédiction a commencé, les Melas avaient dénoncé un trafic des plus malhonnêtes qu’exerçaient alors mes ancêtres. Afin de sauver leur honneur et leur fortune, les Hardi ont réussi à les faire passer pour des sorcières. Cette tradition a perduré jusqu’à aujourd’hui mais elle doit dorénavant cesser.

Le père Frédéric restait bouche bée pendant que les deux autres curés étaient pantois. De toute leur vie, ils n’avaient jamais confessé un tel péché. Ce mensonge à présent démenti ne pouvait bien évidemment continuer d’exister et le nécessaire devait être fait pour rétablir la vérité.

Pourtant, la charge de plusieurs siècles d’une légende ancrée si profondément dans ces terres de Provence demandait un courage et un esprit de contrition que ces trois mortels peinaient à rassembler.

Mais l’ange veillait et le petit Gabriel, qui avait pris l’habitude d’écouter les discussions de grands, pénétra en courant dans le presbytère.

- Madame Pallandru a raison ! La grand-mère de Corinne est une sainte et elle ne fait pas de mal ! Vous allez les laisser venir à l’église maintenant, hein, monsieur le curé ?

Les grands yeux innocents du petit garçon réussirent à dérider le père Frédéric.

- Voilà que la pureté arrache de nos cœurs de pécheurs ce qu’ils ont tant de mal à admettre ! dit-il. Madame, je vous remercie d’être venue et vous félicite de votre courage. Mes confrères ainsi que moi-même allons prendre les mesures nécessaires.

La femme de l’adjoint au maire quitta l’église accompagnée de l’enfant de chœur qui avait tant à lui raconter.

Les trois prêtres, abattus par ce qu’ils venaient d’entendre, n’osaient prendre la parole. Ce fut finalement le père Alain qui dit tout haut que tous pensaient tout bas.

- C’est elle, dit-il.

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OCTOBRE

Le vent d’automne balayait les feuilles mortes dans les rues de Vence. Marianne Melas était à sa fenêtre. C’était peut-être la dernière fois qu’elle regardait cette ville, du moins sentait elle qu’elle était à l’ultime saison de sa vie. Il ne lui restait plus beaucoup de temps avant la fin.

Mais voilà que le destin était à sa porte…

Georges Pallandru se présenta tout sourire accompagné de son assistant, Jean Iscariote. La femme les laissa entrer chez elle comme la brebis accueille le loup dans la bergerie. Il fallait désormais se confronter à lui. Les dés étaient jetés, la partie pouvait commencer.

Corinne avait pour consigne de rester dans sa chambre à l’étage. Quand l’adjoint au maire prit place dans le petit salon des Melas, il ne put s’empêcher de regarder avec surprise la pauvreté du mobilier dans lequel vivaient la grand-mère et sa petite fille. Cependant, cela n’eut pas l’air de l’attrister, bien au contraire.

- Merci de nous recevoir, Madame.

- Je vous en prie, j’attendais votre visite. Votre femme est déjà venue il y a trois semaines pour me remercier de sa guérison, dit Marianne avec ironie.

- Ah, heu, oui c’est vrai, je vous remercie en effet. C’est à dire que ce n’est pas pour cela que nous sommes ici et…

- Êtes-vous heureux qu’elle ait survécu ? le coupa-t-elle.

- Bien entendu, je vous dois une fière chandelle. Enfin, nous verrons pour les remerciements plus tard car nous avons besoin de, heu…

Iscariote lui donna un coup de coude. Pallandru qui avait soigneusement préparé son discours se voyait mené par le bout du nez par cette vieille sorcière. Le jeune associé lui fit comprendre qu’il devait à tout prix retrouver ses esprits.

- Bien, venons-en au fait, reprit Pallandru. Nous sommes ici pour vous proposer un marché : la guérison dont nous parlions à l’instant est extraordinaire. Certes, vous avez sauvé ma femme, mais vous possédez des connaissances hors du commun. Aussi voulons nous racheter votre savoir médicinal. Nous vous en offrons un bon prix.

- Pas question, dit Marianne sèchement.

- Quelle est la raison de votre refus ? demanda Pallandru surpris.

- Cette connaissance est dans ma famille depuis des générations et nous ne voulons pas que, disons, elle tombe entre de mauvaises mains.

- Je vous garantis que nous en ferons bon usage. Imaginez le nombre de personnes qui vont avoir accès à un traitement grâce à vous ! Vous allez sauver des vies !

- Je vais surtout sauver votre portefeuille.

Pallandru se râcla la gorge. Elle était plus coriace qu’il ne pensait.

- Je comprends que vous soyez réticente à m’accorder vos secrets, peut être le fruit de recherches de plusieurs siècles, mais que se passera-t-il si vous disparaissez vous et votre petite fille ? Tous vos remèdes seront perdus à tout jamais ! Alors même que tant de gens en auraient besoin. Réfléchissez bien, Madame Melas.

- J’y pense depuis des années, et ma réponse est non.

L’adjoint au maire ne put réprimer une grimace d’agacement. Il tenta une autre attaque.

- Si je peux me permettre, votre demeure est bien modeste, lui dit-il en regardant autour de lui. Une belle somme d’argent serait la bienvenue. Avez-vous pensé à l’avenir de la petite ?

A ces mots, Marianne baissa les yeux. Oui, elles étaient pauvres, mais les Melas l’étaient depuis toujours. Ô combien la grand-mère aurait voulu payer de belles études à Corinne, et la savoir débarrassée de cette légende familiale ! Hélas, le devoir était plus fort que tout.

- Je vous remercie de votre proposition, mais je le répète, la réponse est non, murmura-t-elle.

- Serait-ce à cause d’une raison divine que vous refusez notre offre ? intervint Iscariote.

Marianne sursauta.

- Qui êtes-vous ? Comment savez-vous ? balbutia-t-elle en regardant le jeune homme.

Georges regarda son assistant perplexe. Quelle était cette botte secrète qu’il venait de dégainer ? Mais voilà que Madame Melas était sur la défensive.

- Qui vous a envoyé ici ? demanda-t-elle en colère au jeune avocat. Si vous savez à qui vous vous adressez, alors vous ne pouvez être que du diable ! Répondez-moi, qui vous a informé à mon sujet ?

- Je, heu, nous voulons juste vous faire changer d’avis au sujet…

- Vous en savez beaucoup plus que vous ne voulez le dire ! Qui vous a renseigné ?

Les deux hommes ne savaient plus que dire. L’attaque de Jean était en train de se retourner contre lui. Dès lors, comment faire pour dévier le courroux dont il faisait l’objet ? Décontenancé, il céda face à cette vieille femme qui s’était changé en furie.

- Eh bien ce sont les prêtres de la chapelle Matisse.

Marianne eut soudain un profond regard. Après un long silence, elle affirma :

- Je vois. Vous portez bien votre nom de traître, Monsieur Iscariote, mais une fois encore, le bien l’emportera. Vous et votre patron allez prendre vos affaires et déguerpir sur le champ. Que je ne vous revoie plus.

Les deux hommes partirent sans mot dire tandis que Corinne descendit au salon. C’était la première fois qu’elle entendait sa grand-mère entrer dans une telle colère. Mais bien qu’elle n’en connaisse pas la raison, la petite fille était fière de son aïeule.

Marianne Melas se rendit ce soir-là à la chapelle Matisse et eut une longue explication avec les pères Pascal, Alain et Frédéric.

Une lumière nouvelle se leva au-dessus des Baous.

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À suivre...

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